Lundi matin, l’équipe se lève du bon pied et prend la direction les locaux de la CIOEC BOLIVIA (cf précédent article) à La Paz. Après un court trajet en taxi, le moyen de transport le plus répandu dans les rues boliviennes, nous nous retrouvons attablés dans la salle de réunion en compagnie d’Andréa dont nous avons déjà parlé, de Franco, un technicien d’ACRA, de Ricardo, le responsable de la Escuela de Líderes, et de Carlos, un des gourous de l’organisation.
Nous nous présentons et précisons de vive voix avec les membres de la CIOEC le cadre de notre intervention : nous visiterons plusieurs OECAs, ces communautés rurales de Bolivie impliquées dans des activités économiques aussi variées que la production de confitures ou la confection de matelas. Lors de nos visites, nous demanderons à nous entretenir avec le dirigeant de la coopérative ainsi qu’avec des « élèves », parfois trois fois plus âgés que nous, pour évaluer avec eux, via un questionnaire, l’impact concret des modules de formation de la Escuela sur le renforcement des coopératives.
La réunion tourne court : la loi pour inscrire le terme « OECA » (Organización Economica Campesina) dans la Constitution du pays, gage de légitimité et donc d’appuis gouvernementaux (notamment financiers), est sur le point d’être votée et les dirigeants de la CIOEC ont un emploi du temps long comme le bras.
Sur le chemin du retour, nous flânons sur l’avenue principale, el Prado, la grande rue commerciale qui traverse la ville de part en part. Les yeux grands ouverts, nous nous enivrons du parfum et de l’ambiance si particuliers à La Paz.
Au hasard de notre promenade, nous tombons nez à nez avec Oscar, le responsable du FondOECAs, une organisation directement rattachée à la CIOEC qui finance des projets de développement pour les coopératives : machines de production, équipements de transformation… Oscar nous invite dans ses bureaux et prend le temps de nous expliquer dans le détail le fonctionnement du fonds.
Mardi, nous plongeons dans le grand bain ! Première enquête terrain auprès des « socios » d’une coopérative qui produit des vêtements en laine d’alpaga, un petit lama au poil incroyablement doux. La rencontre se déroule dans la boutique d’une des nombreuses rues commerçantes de La Paz. Nous nous essayons à l’exercice difficile de gagner la confiance de nos interlocuteurs avec qui nous n’avons pas grand chose en commun (à commencer par la langue) pour en tirer le maximum d’informations. Ricardo, dans un coin de la pièce, nous distille ses conseils quand la conversation s’enlise.
Le lendemain, rendez-vous matinal dans les locaux de la CIOEC avant de partir pour une coopérative plus éloignée. Nous sommes loin de nous imaginer la journée incroyable qui nous attend. Notre première rencontre aurait pu nous mettre sur la piste : pendant une heure, nous discutons avec un canadien (de la coopération CUZO) qui a dédié une grande partie de sa vie au développement de la Bolivie et du Honduras. Celui-ci a pour mission d’optimiser le fonctionnement de la CIOEC, au besoin en proposant des restructurations. Il met le doigt sur un problème récurrent des organisations, et qui gagne en importance : la bureaucratie. Selon notre nouvel ami, la CIOEC gagnerait à envoyer davantage sur le terrain chacun de ses employés, afin qu’ils soient bien au fait des réalités de ceux qu’ils sont censés aider. En outre, il insiste longuement sur les avantages de l’agriculture familiale en comparaison de l’agriculture d’exportation : valorisation du territoire, création informelle d’un réseau de protection social, préservation des sols et des traditions etc. Ce sympathique monsieur à l’humilité déroutante est une vraie mine d’information et porte un avis objectif sur les problématiques du développement en Amérique Latine. Dans quelle direction doivent s’orienter les coopératives agricoles boliviennes ?
Deux bonnes heures de trajet plus tard, nous arrivons à destination : une coopérative perchée à près de 4 200 mètres d’altitude spécialisée dans la production de fromage de vache. Notre travail d’investigation accompli, nous prenons congé de nos hôtes… mais c’était sans compter sur la batterie capricieuse du mini bus.
Aux grands maux les grands remèdes, nous nous éreintons à pousser encore et encore le véhicule pour faire redémarrer le moteur. Essoufflés par l’altitude, découragés par nos efforts à répétition demeurés infructueux, nous mettons un genou à terre et en appelons aux automobilistes voisins. Les filles usent de leur charme et, miracle ?, une voiture s’arrête. Au mépris de toutes les règles de sécurité, nous voyons le conducteur démarrer notre véhicule à l’aide de sa batterie puis remettre celle d’origine sous le capot, le tout sans éteindre le moteur ! Enfin, l’essentiel est que nous pouvons reprendre la route…
Nous profitons de notre présence sur les terres ancestrales des Tiwanaku pour visiter les ruines du site archéologique : la Puerta del Sol et la Pyramide d’Akatana sont les figures de proue d’une civilisation pré-incas avancée, qui profitait notamment de sa connaissance du bronze pour dominer les autres peuples. Nous visitons le site au pas de course, le tout est un peu terne en raison d’une mise en valeur minimaliste. La Bolivie qui jouit d’un patrimoine culturel exceptionnel aurait très certainement intérêt à valoriser davantage ces sites d’une grande rareté : le touriste n’est ici pas très loin de se sentir dans le rôle d’une poule aux œufs d’or…
Après une bonne nuit de sommeil, les organismes fatigués sont de nouveau prêts à repartir dans l’Altiplano. Décision est prise que les filles resteront au QG et que les garçons partiront en vadrouille à la rencontre des membres d’une coopérative éloignée, le véhicule d’ACRA ne permettant pas à tous de venir. Nous sommes accompagnés de Franco, très avenant et au sens du pilotage rassurant dans le chaos de la circulation bolivienne : les véhicules se doublent aussi bien par la gauche que par la droite, la priorité à droite est remplacée par la loi du plus fort et, les chiens errants qui ignorent tout des passages piétons (par ailleurs inexistants), jouent aussi bien avec leur vie qu’avec les nerfs des conducteurs pressés.
Nous rendons visite à une première organisation où Franco vient compiler plusieurs informations sur la croissance des salades sous serre. Notre accompagnateur nous apprend une chose étonnante : les légumes poussent plus ou moins vite selon les cycles de la lune. Plusieurs aspects de la vie humaine seraient d’ailleurs conditionnés par la course de l’astre : la croissance des ongles et des cheveux, notre comportement au quotidien, les naissances… A méditer.
Nous parvenons à la OECA où nous sommes d’emblée invités à partager le repas des socios. Les femmes posent à même le sol des tissus colorés où se mêlent plusieurs variétés de papas (pomme de terre), le plat national. L’assiette qui nous est présentée est agrémentée d’un petit poisson pêché à quelques encablures. Les eaux claires du lac Titicaca, le plus haut lac navigable au monde, sont en effet à portée de pierre et ses reflets chatoyants viennent s’ajouter à la beauté du paysage montagneux environnant. Alex ne fait qu’une bouchée de son repas, tandis que les estomacs douloureux de Joël et de Paul invitent à davantage de prudence.
Notre évaluation accomplie, nous rejoignons les filles à La Paz où nous nous employons à l’analyse qualitative de ces données. Nous disposons d’un mois pour produire une étude d’impact complète et pertinente, nous ne pouvons guère nous permettre de perdre du temps. Et c’est fatigués, mais toujours heureux, que nous nous attelons ensuite à un énième challenge : une compétition de tarot sur nos neuf mois à l’étranger… que le meilleur gagne !